Souvenirs 2

                                  Eden

   Torse nu devant le miroir pendu à l'espagnolette, il fait mousser le savon dans sa boîte ronde en me toisant d'un air taquin. Je sais que son blaireau va me déposer un peu de mousse sur le bout du nez : "Alors Nasique, déjà debout ?". Nasique, c'est à cause de la petite veine bleue qu'on devine sous ma peau fine en haut de mon nez. Et son regard, clair comme le ciel, s'absorbe dans les éclairs du rasoir sur le cuir à aiguiser...

                J'aime quand il remonte du jardin avec un grand panier rempli d'oignons blancs encore maculés de terre, de plançons de salade si tendres à manger et de fleurs de courgettes dorées ; quelquefois, je l'accompagne et ramasse les grelots bondissants lorsqu'il arrache les pieds de pommes de terre blondes...

                    J'aime l'odeur de la pâtée de son pour les canards qu'il remue avec ses grandes mains et dans laquelle on picore, avec Célou, dès qu'il a le dos tourné....

                      J'aime la douceur des lapereaux tremblotants qu'il met dans nos bras....

                     J'aime qu'il me prenne sur ses genoux pour murmurer à mon oreille comment sont fait les nids et le secret de leurs oeufs....

                 Lorsque certains soirs il arrive dans son uniforme si sérieux, fatigué du bruit de la ville, comme il paraît différent de ce jardinier qui nous apprend à faire pousser la vie des graines toutes sèches et qui nous fait courir au milieu des poules et des poussins avec des cris et des rires !